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Fable : Les animaux sans abri (Psychopathologie du confinement 6)

22

mai

1

animaux de la ferme

Une nuit, rongé par un incertain ver, tout s’écroula. L’étable, l’écurie, la cour, la basse-cour et l’arrière-cour. Il pleuvait, il neigeait, il ventait, plus personne n’était à l’abri. Tout était par terre, tout était à rebâtir.

Les animaux se lamentaient, hennissaient, meuglaient, aboyaient, et je ne sais quoi encore.

Enfin le coq se mit à chanter : « Camarades, dit-il de sa voix aigüe et haut perchée, camarades, le monde ancien s’est écroulé, c’est vrai ; mais c’est un mal pour un bien, ce monde était mauvais, injuste, mal conçu, les gros mangeaient les petits. Nous avons la chance inouïe de pouvoir en construire un meilleur, il est temps de nous y atteler ! »

—    C’est vrai, dirent l’ensemble des animaux, il est temps de nous y atteler !

—    C’est vraiment vrai, dit le mouton, marre de se faire tondre en permanence la laine sur le dos ! Et d’abord autogestion ! maintenant, et tout de suite !

—    « Autogestion », tu me fais rire ! dit le chien, avec ton autogestion tu vas aller loin : directement à l’abîme, en suivant tes semblables !

—    C’est du chien et de tous les gardes-chiourmes dont il va falloir se débarrasser, dit la vache, et par la même occasion des harceleurs à commencer par le taureau, ajouta-t-elle.

—    C’est juste ! le coq, le chien, le taureau, tout ça c’est du bien mauvais genre dit la jument !

—    Un genre bien trop genré, surenchérit la dinde.

—    Et qui vous défendra alors, qui foncera sur les méchants ? dit le taureau en grattant la terre d’une de ses pattes avant.

Le chat, lui regardait et ne disait rien. Le renard passa par là et emmena la poule, bientôt suivi du loup qui tua l’agneau. Les animaux continuèrent à se lamenter.

—    ­En tout cas il faut faire quelque chose, dit l’araignée, je n’ai plus un endroit où tisser ma toile.

—    Tais-toi donc, dis le canard, n’oublies pas qu’ici, tu n’es que tolérée !

—    De toute façon, tant qu’on n’aura pas trouvé un vaccin contre un incertain ver, tout cela ne servira à rien, dit la souris.

—    Ferme-la ! dit le cochon. Tu n’es même pas de chez nous, tu viens manger notre pain et tu oses te plaindre, tu oses demander plus ? Fiche le camp de là où tu viens si tu n’es pas contente !

—    Tout ça, c’est de la faute du cochon, intervint le coq. C’est un profiteur ! C’est à cause de profiteurs comme lui que nous, les petits, on crève ! Regardez-le : gros, gras, sale comme un porc.

—    Et qui vous nourrit ? L’araignée peut-être ? Vous oubliez que dans le cochon tout est bon ! rappela le cochon.

Le chat regardait, se promenait et ne disait rien. Il croqua la souris. Le renard revint faire un tour, il embarqua le canard. Le loup guettait la dinde.

—    Et le cheval ? Parlons-en du cheval ! Monsieur a son box bien à lui, son picotin, il est nourri comme un prince, pendant que nous, on est enfermé dans un endroit minuscule où on a à peine la place de se retourner, c’est une honte ! dit le lapin.

—    C’est pas moi qui vous nourris peut-être, bande de fainéants ? hennit le cheval. Qui tire le soc, qui tire la charrue, hiver comme été, qu’il neige ou qu’il pleuve ? Si je ne travaillais pas comme un damné, vous ne seriez même pas là à jacasser !

Le chat ne disait rien, mais n’en pensait pas moins. La vipère rampa derrière le veau, le piqua et il mourut. Le chat tua la vipère.

—    Dépêchez-vous de prendre une décision, dit l’hirondelle, ça fait des heures que je vole, je n’en peux plus, il me faut un toit pour faire mon nid !

—    Eh bien, vole, vole, puisque tu ne sais faire que ça, dit le paon !

—    Voilà le prototype parfait de l’inutile, meugla la vache, pendant qu’on se fait traire, Monsieur se pavane.

—    Parfaitement ! surenchérit le coq, dans le monde de demain, il n’y aura aucune place pour les bouches inutiles ! À chacun ses revenus, selon ses besoins !

—    Parce que tu te crois utile, peut-être ? À part chanter et réveiller tout le monde tu sais faire quelque chose, peut-être ? reprit le cheval, qui n’avait pas supporté les accusations dont il avait été victime.

Le chat se taisait toujours, il renifla l’araignée, mais ne la trouva pas à son goût. L’aigle descendit du ciel et s’empara du lapin.

Maintenant tout le monde hurlait, s’invectivait et vociférait, tout le monde s’en prenait à tout le monde. Pendant ce temps-là, l’étable, l’écurie, la cour, la basse-cour, l’arrière-cour, tout était toujours par terre.

Finalement l’âne se mit à braire si fort et si longtemps qu’il imposa silence à chacun.

—    J’ai une idée, dit l’âne. Si nous continuons à nous disputer, nous n’arriverons à rien. Je sais ce qu’il nous faut faire ! Je vais le dire à l’oreille de chacun d’entre vous. Et si vous êtes d’accord, vous n’aurez qu’à hocher la tête.

Il fit le tour de tous les animaux, leur chuchotait à l’oreille et chacun hochait la tête.

Alors ils se mirent tous à reconstruire tout, exactement comme auparavant.

Seul le chat ne dit rien, ni ne hocha la tête. Il partit faire un tour dans les prés.

On aime à suivre les ânes.

Et allez-donc savoir ce que pensent les chats.

 

  1. Bonjour, et merci pour cette fable “Les animaux sans abri”. L’avez-vous inventée ?… J’aime bien cette caricature des natures humaines.
    Hier soir, énervée contre mon fils (qui n’avait pas obtempéré assez vite à mon goût quand j’ai dit “A table”) (l’ingrat), je me suis plongée dans ma tablette flambant neuve, mots-clés “relations parents-enfants”, et je suis tombée sur le mur des lamentations que constitue votre blog, qui écoute et fait écho à des parents de fils oisifs… très intéressantes, vos réponses (vous restez constant, ça rassure) et aussi la récurrence de ces histoires !! Ah ce vingt-et-unième siècle !!
    Je dis régulièrement à mes enfants que dans cette société chacun doit avoir un statut. Mon fils a 20 ans et je guette : il vit toujours au domicile familial, mais est étudiant, donc ça va. Si jamais il quitte ce statut… je relirai votre blog :-)
    Bonne journée
    Christiane

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