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Qu’il est vaillant l’hôpital entreprise ! (Psychopathologie du confinement 2)

22

mai

hôpital entreprise

Les politiciens de tout poil se précipitent à la tribune médiatique pour répéter à l’envi leur admiration pour le travail sublime accompli par l’ensemble des soignants au cours de cette crise sanitaire, en oubliant allègrement que s’ils ne sont pas responsables de la diffusion du virus, ils sont responsables de la situation des hôpitaux et, plus largement de celle des soins dans le pays. Cela fait presque trente ans que cela dure.

Cela fait presque trente ans que la « rationalisation des soins » a pris le pouvoir par l’intermédiaire de toute une série de bureaucrates zélés qui expliquent aux soignants, à commencer par les médecins, comment soigner.

Cela fait près de trente ans que l’on nous explique comment faire bien mieux avec beaucoup moins, qu’il y a dans tous les lieux de soin des « gisements de ressource », du gaspillage, du temps perdu, de l’incurie.

Cela fait presque trente ans que l’on a transformé les « infirmières chefs » ou les « surveillantes » en cadre de santé qui n’ont plus aucun rôle dans la santé et qui passent leur journée à s’acharner sur les plannings de leur équipe, impossibles à réaliser face à la pénurie de personnel.

Cela fait presque trente ans que l’on force les soignants à perdre un temps précieux à « documenter » des soins qu’ils sont censés faire au lieu de les leur laisser faire, fascinés que nous sommes, par le modèle anglo-saxon.

Cela fait presque trente ans qu’à coup d’accréditations et de contrôles plus ou moins judicieux, de réunions pléthoriques et infinies, on se soucie plus de rendre les soignants responsables judiciairement de leurs actes plutôt que de leur laisser faire leur travail, et qu’aucune prise en compte de tout leur temps « interstitiel » n’est réalisée ; ce temps « interstitiel » qui est la vraie valeur ajoutée de soins « humains. (J’ai souvenir d’une « RH » m’expliquant avec beaucoup de sérieux que les médecins devaient cesser d’aller boire leur café au secrétariat de direction car cela faisait perdre du temps à tout le monde : alors que c’était un moyen rapide et convivial de régler bon nombre de difficultés.)

Cela fait presque trente ans qu’on remplace les infirmières, les aides-soignantes, les médecins, par des « qualiticiens », des évaluateurs à la petite semaine pour contrôler toutes ces tâches administratives complètement insensées.

Cela fait presque trente ans que le pouvoir médical et, plus largement celui des soignants, est évincé au profit des directeurs hospitaliers, des ARH, puis ARS, tous ces cadres administratifs, plus ou moins formés à l’école de Renne qui leur apprend la détestation médicale en leur enseignant que la médecine est chose bien trop sérieuse pour être laissée aux médecins.

Cela fait presque trente ans que l’on nous explique que l’informatique nous fait gagner un temps précieux alors qu’on a dépensé des centaines de millions dans des logiciels plus ou moins hasardeux, incompatibles entre eux et que le DMP (dossier médical partagé) est à peine utilisé.

Cela fait presque trente que l’on troque chez les médecins de ville une augmentation ridicule du prix de leur consultation contre des réductions de leur liberté de prescription et surtout une surcharge de paperasserie dont ils se passeraient bien.

Et cela fait surtout trente ans qu’on réduit inéluctablement, jour après jour, le personnel de santé dans les hôpitaux (publics ou non), provoquant dans certains lieux, et je pense à la psychiatrie particulièrement, une crise majeure, renvoyant celle-ci à ce qu’elle était dans les années cinquante.

Si l’on rajoute à tout cela, le merveilleux outil managérial de la T2A, une aubaine pour les administratifs qui peuvent accroitre ainsi leur mainmise sur les soignants, et les 35h qui ont permis d’embaucher un minimum de personnel pour compenser la perte de travail, tous les ingrédients étaient disponibles pour la catastrophe…

Et la liste n’est pas exhaustive… Alors maintenant on peut toujours verser des larmes de crocodile à la télévision, surtout quand on a été incapable d’anticiper la pénurie de masques et de gels hydroalcooliques ou quand, voyant soi-disant la crise arriver, on a préféré se démettre pour aller faire de la basse politique dans la Capitale. On peut toujours aller taper sur des casseroles à 20h « en hommage aux valeureux soignants » dont certains n’ont pas le minimum requis pour se protéger ou promettre des plans massifs pour les structures hospitalières. Mais j’ai du mal à croire qu’à la sortie de la crise, on tiendra compte de ce lourd bilan. Qu’on laissera les soignants dire comment il serait souhaitable de s’organiser et qu’on en tiendra compte. Vraiment beaucoup de mal à y croire.

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